Analyses d'images Kertész
J’ai fait analyser à mes
élèves futurs professeurs des écoles cette reproduction de la photographie « LA FOURCHETTE » de André KERTESZ. (1926
ou 28 )
Cette
œuvre figure dans la liste indicative du Ministère en arts visuels/plastiques.
C’est incontestablement un chef-d’œuvre, mais un chef d’œuvre austère qui ne
flirte pas avec l’exubérance du baroque, c’est le moins que l’on puisse dire.
Je copie et colle
ci-dessous six analyses.
Elles sont dans
l’ordre qui me convient le mieux,
de la plus classique et simple à la plus olé olé.
Ces textes sont donc de
type assez différent à chaque fois.
Vous ne pourriez lire qu'un des cinq premier, mais lisez le sixième pour comprendre la raison de cette présentation.
(Le septième celui de
Chantal, il est une réponse fantaisiste et humoristique au mien, le mien est le
sixième.)
Mon "analyse
poétique" a été écrite par réaction lorsque les copies des élèves
commençaient à m’ennuyer tant elle se ressemblaient. Mon humeur de correcteur
bouillait.
Mon texte n’est pas un
modèle, mais il a l’avantage de parler de tout dans le désordre, du cadrage, de
la lumière, de la table, du hors champ, des ombres, du contexte. Cela de
manière bien plus agréable, me semble-t-il, que les simples réponses à un formulaire
d’analyse qui fatigue le correcteur.
Je me demande tout de même
si mes tous mes collègues d’arts plastiques sont de mon avis ?
En tout cas, quelques
excellents professeurs de français plutôt sensibles aux arts adhèrent et notent
généreusement, une analyse de ce type.
Après avoir lu devant une
classe ces six "analyses", je réussis à booster certains élèves pour
une autre analyse d’une image/œuvre. J’obtiens des résultats surprenants… Ils
sont vraiment satisfaits de leur écriture, tellement plus que de suivre une
trame qui bien sûr peut dire les mêmes choses autrement.
(J’ai moi aussi une
trame/questionnaire/main-courante d’aide à l’analyse. Je vais la publier dans
l’article suivant.)
Premier texte.
- photo noir et blanc d’un
objet assez simple, mais proposition esthétique de l’objet quotidien
- composition : diagonale
qui coupe la cadre en deux parties symétrique, fourchette au centre du
cadre, mais n’est finalement pas le véritable sujet
- ombre : traitement
intéressant car sa trajectoire se trouve modifiée par un obstacle (assiette)
Impression de déformation, de distorsion, agrémentée par les stries des
dents de l’outil
- contraste : ombres sur le
manche plus ombre de l’assiette creuse
Anne.
(La liste et les tirets,
l’énumération, le pire de tout !)
Deuxième texte.
Le
document proposé est la reproduction d’une photographie d’André Kertesz,
« Fourchette », datée de 1928. Il n’y a pas d’informations sur le
format.
Cette photographie, en noir et blanc,
représente une fourchette posée retournée sur le bord d’une assiette : il
s’en dégage une impression de dépouillement total.
L’assiette, dont on ne voit qu’un coin, forme
une ligne courbe qui est brisée par celle, droite et oblique, matérialisée par
la fourchette : photographiée quasi entièrement, cette dernière est donc
l’objet principal d’où le titre.
On peut insister sur le jeu d’ombre et
lumière : chacun des deux objets est doublé par son ombre, chacune très
nettement dessinée ; d’ailleurs, en analysant le placement de cette
dernière, on peut supposer que l’éclairage est disposé au dessus de la scène et
que la lumière est projetée verticalement par rapport aux objets.
A
ce jeu d’ombre s’oppose la lumière, et notamment le reflet scintillant sur la
fourchette, d’autant mieux mis en valeur par la couleur sombre de l’objet.
Marie.
Troisième texte.
Nature morte à sujet constitué d’objets
inanimés
Photographie en noir et
blanc.
Durant la période de
l’entre 2 guerres la photographie a envahi la presse illustrée et trouve sa
place au sein de l’art des avants gardes.
Description : Fourchette toute simple posée sur
le bord d’une assiette, avec son ombre. C’est le dépouillement même Il y une
certaine sensibilité qui se dégage.
·
Les courbes de la fourchette et
de l’assiette atténuent l’agressivité des fourches.
·
La lumière est focalisée sur la
fourchette. On remarque d’ailleurs son ombre sur la table et une autre à l’intérieur de
l’assiette (phénomène optique).
·
Plans : Nous avons un gros
plan sur la fourchette, on se focalise sur elle.
·
Cadre : on a cadré de façon
à ce que l’on ne voir rien d’autre autour. L’objectif devait être très près.
·
Couleur : noir et blanc
nuance de gris (différents tons). Autour de la fourchette il plus de clarté et
des tons plus clairs car la lumière arrive dessus.
C’est une immersion dans
le monde matériel. Ce qui fait de cet ustensile quotidien un objet d’art à part
entière, flottant au dessus de son assiette comme en suspension.
Il y de la préméditation car cela oblige le
regard à s’attarder sur la composition pour distinguer chaque chose et la
nommer alors que certains objets communs (comme ici la fourchette) passent
inaperçus dans notre quotidien.
Cette photo fait avancer
notre manière de voir.
Cette photo est d’actualité car il y a actuellement
un exposition sur ce photographe à la Maison Européenne de la Photographie jusqu’au 31 décembre.
Natacha.
Quatrième texte.
Il
s’agit d’une photographie noir et blanc de format paysage, avec pour cadrage un
gros plan et une prise de vue en plongée.
On
observe une fourchette dont les bouts reposent l’un sur le support qui semble
être une table, un sol et l’autre sue l’assiette.
On
observe aussi un jeu d’ombre produit par de l’éclairage, en effet l’ombre de la
fourchette commence sur la table et se termine dans l’assiette. En outre
l’ombre de la fourchette projeté sur le support entre en fusion avec celle de
l’assiette. Par conséquent Kertesz a éclairé sa composition de deux manières, une
source lumineuse venant d’au-dessus de la fourchette et une autre venant du
nord-ouest, du coin gauche en haut en regardant la photo. C’est grâce à la
combinaison de ces deux éclairages que les ombres de la fourchette et de
l’assiette fusionnent sur le support.
Kertesz
a donc utilisé des objets communs
pour sa composition, il peut s’agir d’une forme de présentation comme le
fait Christo avec ses emballages, Arman, les surréalistes…
Cependant
on peut s’apercevoir que comme dans les plans de Cocteau ici la lumière joue un
rôle essentiel, en l’utilisant de certaines façon elle permet de d’exprimer des
sentiments, atmosphère, de présenter des traits particuliers, de créer de
l’ombre qui peut être utilisé pour composer comme dans les activités de théâtre
d’ombre ou sur la composition de Kertesz.
Eric.
Cinquième texte.
Ce document nous présente une
photographie d’André KERTESZ photographe américain d’origine hongroise
(1894-1985), intitulée « Fourchette » et datant de 1926.
Cette
photographie en noir et blanc est de nature expressionniste. Elle représente
une fourchette faite d’un métal quelconque reposant sur le rebord d’une
assiette elle-même constituée dans un matériau spécifique et le tout est posé
sur une table que l’on peut supposer être de bois. Il y a ici, par cette
succincte description, un rapport à la matière qui s’exprime. La mise en scène
simple et la recherche subtile dans le choix du cadrage et des effets de
contrastes n’est pas sans rappeler certains travaux de Henri Cartier-Bresson.
Par
cette photographie, le regard du photographe exprime quelque chose de somme
tout banal de la réalité quotidienne (dans l’idée de départ) en quelque chose
d’artistique au final. Dès lors, il ressort selon moi quatre idées essentielles
quant à l’analyse de ce document.
Premièrement :
la photographie devient complètement autonome, on en vient à oublier qu’elle
pourrait faire partie à l’origine d’un ensemble plus vaste organisé dans le
cadre d’un dîner par exemple, avec des convives autour de la table et d’autres
ustensiles divers.
Deuxièmement :
la matière se donne du sens et crée une émotion.
Troisièmement :
l’invisible ou l’anecdotique dans le quotidien et le banal devient visible et
expressif.
Quatrièmement :
la photographie prend un sens encore plus conceptuel, elle devient une
« abstraction » de formes géométriques où l’on devine un empilement
de cercles et d’ovales, de triangles et de rectangles qui lui donne une
importance autre qu’illustrative.
Enfin, il est également à
souligner toute l’importance du noir et blanc et de la lumière dans la
construction de jeux d’ombres et de dégradés pouvant déboucher sur une
exploitation pédagogique pertinente.
David.
Sixième texte.
Une fourchette très propre
regarde discrètement par-dessus son assiette propre.
Elle est en paix.
Mademoiselle fourchette
tirée à quatre épingle, heu.., à quatre dents…
Elle est en trêve…
Mademoiselle Fourchette
espère qu’on lui reprenne la main.
Pas de main sur cette table rase, pas de
bouche dans le champ, pas de soupe
dans cette assiette amputée.
La fourchette propre placée
à droite de la convive attend sur le dos, ce n’est pas celle que l’on voit.
Celle-ci, sur le ventre, en
l’équilibre tendu du gymnaste n’expose pas sa fatigue. Dans cette posture
polie, cette svelte Demoiselle retournée a déjà fait quelques allers et retours
vers les dents… Pourtant pas une miette d’aliment ne laisse présager qu’elle
est allée se fourrer dans une bouche délicate.
Un éclairage violent d’orage
la cloue au sol, la dédouble, lui casse les dents sur le rebord de l’assiette,
ça lui donne des airs de star au firmament de la table bien mise.
Attend-t-elle le plat
principal sans l’assiette plate qu’elle a oublié.
Fraction d’assiette dis-moi
ce que tu contiens et je te dirai de ma bouche ce que j’aime en toi.
Table sans set, sans verre à
voir, vous avez la rigueur d’une meurtrière, d’un Juda.
Ma vue de rectangle serré te
captive belle diagonale ondulée.
Monsieur Kertesz,
laissez-moi voir votre hors champ !
Parlez-moi des trois quarts
de cette assiette convoitée, personnage secondaire en marge de votre souci de
valoriser cette élégante croupe tendue comme un ressort qui attend sagement et
proprement la becquée.
Fourchette peut-être lassée
d’être l’ascenseur des bouchées double de cette vieille Demoiselle seule à table ?
« Elle s’est
momentanément éloignée de sa chaise pour du sel ! »
Du sel qui la libérera de se
cessez-le-feu qui commence à peser sur ses fines dents arc-boutés sans fin.
Gilbert.
Bonjour Gilbert!!!
Ton texte m'a fait réagir....ou plutôt
une infortunée fourchette, manufacturée en série, au destin banal, qui,
néanmoins dispose d'une sacrée gouaille !!
Petite parenthèse, je ne connaissais pas
Kertesz… ni ses écrits, ni ses œuvres photographiques.
"Non mais! Pour qui se prend elle
avec ses airs snobs?
Une fourchette poétesse?!
Ben voyons! Elle a de quoi se le
permettre! Madame roule en écrin
de velours alors que moi, humble couvert en inox et plastique made in
china, suis jetée négligemment au
fond d'un tiroir poisseux en compagnie d'un tire-bouchon fendu, d'une cuillère
tordue et d'un couteau à la lame émoussée (fort heureusement! car, on ne peut
imaginer ce que ce dernier serait capable de fomenter comme coup bas! Un coup
de couteau dans le dos à la moindre baisse de vigilance n'est pas à écarter)
Pour nous, couverts prolétaires, point de
caviar, de parfait de foie gras, de canard laqué, de dinde truffée, de terrines
de poisson, de sanglier à la broche, de coq au riesling, de fricassée de
grenouilles, d'oie farcie rôtie, de civet de lièvre, de filet mignon, de sauté
de veau, d'huîtres gratinées, de noix de Saint-Jacques flambées, de
mille-feuilles de rouget, de gésiers confits, de tartes aux cèpes, de poulet
chasseur à la sauce tomate, de cassolette d'escargots, de salade périgourdine,
de boudins poêlés, de pâtés, de blinis, de clafoutis, de soufflés, de gratins,
de toasts, de beignets, de mousses, de filets , de potages, de sauces aux
morilles et autres, de papillotes mais une soupe aux vermicelles ou des fayots
saluent nos jours de fêtes.
Madame sort de chez Couzon ou
Cristofle...les jours fastes, je ne puis compter que sur un coup d'éponge pour
me redonner un peu d'éclat.
Alors, pour une fois, qu'elle se retrouve
en face d'une assiette vide...effroyablement vide, nous n'allons pas nous en
attendrir.
Madame veille jalousement à sa croupe et à son allure élancée, et
bien, que diable, une petite diète ne pourra lui nuire!"
Chantal de Madagascar.
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